ERF (Ensemble Résidentiel Fermé) - rues privatisées |

Il n’existe pas de définition univoque de la notion d’« ensemble résidentiel fermé ».
Dans le périmètre marseillais, on répertorie plus de 1000 ensembles résidentiels, lotissements, groupes d’immeubles entourés d’espaces communs clôturés-sécurisés et de voies fermées.
Au-delà des résidences fermées de haut standing, très sélectives et très étanches des couches aisées, depuis moins d’une dizaine d’années le phénomène de clôture résidentielle, sous toutes ses formes, plus ou moins étanche, plus ou moins ostentatoire, semble s’être répandu dans toutes les parties de la ville, délimitant de manière systématique les espaces publics de ceux de copropriétés, empêchant de traverser les résidences, imposant des contraintes nouvelles aux cheminements et au stationnement, introduisant finalement un cloisonnement de l’espace dans les zones résidentielles. Cette évolution urbaine peut sembler participer à une « traduction spatiale généralisée du sentiment d’insécurité » mais on peut aussi la relier à d’autres dynamiques politiques, économiques et sociales. La généralisation des fermetures semble s’accélérer, au point de modifier sensiblement, en certains quartiers, la configuration de l’espace urbain.
On observe à Marseille à l’entrée de certaines voies de desserte locale et ce, y compris dans des quartiers péricentraux, la fermeture complète par barrière fixe et portail automatique de toutes les connexions entre la/les rues privées d’un lotissement et la voie publique. Les copropriétaires ont toute légitimité à fermer des espaces résidentiels dans la mesure où ils en assurent l’entretien sans appui public, dans un contexte de difficultés financières de la collectivité qui tend à délimiter de plus en plus strictement son champ d’intervention sur les espaces.
Cette série de photographies vise à fonder un inventaire non-exhaustif des fermetures de voies « privées » (ou revendiquées comme telles, avec des statuts parfois confus) de lotissements anciens, en situation péricentrale et d’avoir une réflexion sur la fermeture et le cloisonnement progressif des espaces résidentiels liée aux diverses logiques sociales, économiques et politiques à l’œuvre et à l’hétérogénéité des contextes locaux.
Ces rues barrées appartiennent généralement à de petits ou moyens lotissements des années 30 à 50 dont la voirie, initialement bien connectée au réseau public, a progressivement été fermée par les associations de copropriétaires. Elles sont plus ou moins bien acceptées par les riverains, et suscitent le débat. Dans quelques (rares) cas, on observe le barrage de petites voies publiques, souvent dans des contextes de fort « malaise résidentiel ». Cette tendance peut, à terme, poser des problèmes de continuités urbaines et pose la question du statut des voies (privées, publiques) et de leur évolution possible (classement, déclassement, cession…). Dans le passé, certains lotissements au statut flou ont obtenu ponctuellement de la ville des appuis, subventions, des interventions publiques d’enlèvement des ordures ménagères, de nettoyage… sans pour autant que leurs voies soient incorporées dans le domaine public. La mise en œuvre récente de la loi de 1986 est venue clarifier certaines situations. Mais la politique de désengagement historique des municipalités marseillaises a facilité la persistance des voies privées.
Les logiques sociales de la fermeture peuvent renvoyer à un processus d’agrégation (recherche d’entre soi, de préservation, de protection, d’identification à un groupe), et à un processus de ségrégation, de séparation, de mise à l’écart ou de mise à distance de l’autre.
Il s'agit d'un phénomène mondial, dont il ne faut pas négliger l'importance dans la mutation des modes de vies citadins et des représentations de l’urbanité. Les enclaves résidentielles renvoient à des dynamiques de territorialisation infra urbaines, de délimitation, de privatisation des usages de portions d’espace urbain et de fragmentation sociale et gestionnaire de la ville. Les recherches sur la sociologie de ce phénomène mettent l’accent sur l’acuité des inégalités sociales qui surdéterminent les questions de sécurité. Au-delà de l’objectif sécuritaire, cette évolution des espaces résidentiels semble exprimer une série de transformations profondes des modes de vie, des relations sociales et des rapports à l’espace.
- Travail réalisé dans le cadre de la Résidence de création à Marseille avec La Chambre Claire -